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Rachel Monnat / Accrosens

Rachel Monnat / Accrosens

Parler de la vie, de la sexualité...


La spiritualité des mathématiques

Publié par Rachel Monnat sur 1 Février 2024, 10:49am

Catégories : #Au naturel, #Citation, #histoires vécues, #la vie, #liberté, #livres

peinture : Léonard de Vinci

peinture : Léonard de Vinci

En même temps que je m'intéresse à l'histoire des mathématiques, je lis - par hasard - le best-seller passionnant du neurologue Oliviers Sacks « L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau ».

 Ce médecin raconte des histoires étonnantes, surprenantes de différents patients qu’il a côtoyés, ayant des problèmes neurologiques.

Une des histoires « Les jumeaux » m’a beaucoup marqué. Ces deux garçons âgés de 26 ans sont autistes et gravement retardés physiquement et psychiquement. Ils vivent en institution ne pouvant subvenir à leur besoin. Ils avaient plusieurs capacités hors du commun connues entre autres de savoir instantanément quel jour de semaine correspond une date, et cela sur quarante mille ans passés ou à venir.
Par contre, ils étaient incapables d'effectuer l'addition la plus simple, et encore moins une soustraction, une multiplication ou une division.

Dr Sacks les observe et il les découvre dans un jeu :
« Cette fois-là, ils étaient assis dans un coin tous les deux avec un sourire mystérieux au coin des lèvres, sourire que je ne leur avais encore jamais vu et qui semblait témoigner d’une paix et d’un plaisir étranges. Je m’approchai sans bruit pour ne pas les déranger. Ils semblaient enfermés dans une communication singulière, d’ordre purement numérique. John donnait un nombre – un nombre à six chiffres. Michaël l’écoutait, hochait la tête, souriait en ayant l’air de le savourer. Puis, à son tour, il donnait un autre nombre à six chiffres que John recevait et appréciait pleinement. On aurait dit deux chevaliers du taste-vin en train d’apprécier ensemble un bouquet rare. Je m’assis non loin d’eux, sans qu’ils me voient. J’étais stupéfait, hypnotisé.
Qu’étaient-ils en train de faire ? Que se passait-il donc ? Je ne voyais pas. Il s’agissait peut-être d’une sorte de jeu d’une gravité, d’une densité, d’une intensité sereine, méditative et presque sacrée que je n’avais encore jamais vue dans aucun jeu ordinaire, et en tout cas jamais chez ces jumeaux habituellement agités et distraits. Je me contentai de noter les nombres qu’ils formulaient et dont ils semblaient retirer un tel plaisir – comme s’ils les « contemplaient », les savouraient, les partageaient dans une véritable communion. »

Et en rentrant chez lui, Olivier Sacks découvre que tous ces nombres à six chiffres sont des nombres premiers. Et ces jumeaux ne savaient pas calculer !

« Le lendemain, je retournai à la clinique en emportant la précieuse table des nombres premiers. Les jumeaux étaient toujours plongés dans leur tête-à-tête numérique. Cette fois, sans rien dire, je me joignis à eux. Au début, ils restèrent interdits, mais, comme je ne les interrompais pas, ils reprirent leur « jeu » sur les nombres premiers à six chiffres. Au bout de quelques minutes, je décidai de me joindre à eux et proposai un nombre premier à huit chiffres. Tous deux se tournèrent alors vers moi et s’immobilisèrent soudain avec un air dénotant une concentration intense et peut-être un certain étonnement. Il y eut une longue pause – la plus longue que je leur ai jamais vu faire car elle dura peut-être une demi-minute ou plus – puis, brusquement, leur visage s’illumina d’un sourire.
Au bout d’un inimaginable cheminement interne, ils avaient soudain vu mon nombre à huit chiffres comme un nombre premier – ce qui fut manifestement une grande joie pour eux, une double joie : d’abord parce que j’avais inauguré un nouveau jouet merveilleux, un nombre premier d’un ordre qu’ils n’avaient encore jamais rencontré ; ensuite parce qu’il était évident que j’avais compris ce qu’ils étaient en train de faire, et que, l’aimant et l’admirant, je pouvais m’y associer. »

Ensuite, ces jumeaux se disaient des nombres premiers à huit chiffres, avant de continuer à neuf chiffres et davantage…

Il n’y a pas de moyen simple de vérifier si les nombres sont premiers, à moins d’avoir un ordinateur…

Par contre, cette sérénité fut brisée dix ans plus tard, car « pour leur bien » on sépara les jumeaux pour les amener à les sortir d’eux-mêmes et qu’ils puissent vivre de façon socialement acceptable afin d’accomplir des tâches domestiques, prendre le bus, etc.
Cependant, privés de leur « communication » numérique, les jumeaux ont perdu leur étrange pouvoir numérique et avec lui tout ce qui faisait le sens et la joie de leur vie.
Malheureusement, dans ce livre, il y a plusieurs exemples où on désire soigner les personnes pour les mettre le plus possible sur les rails de notre société et ces gens perdent leur faculté, leur don, leur joie.

Cette histoire m’a beaucoup bousculée… dans le fait qu’on n’accepte pas les facultés de quelqu’un tant qu’il ne rentre pas dans une case et qu’on préfère ôter l’envie, le stimulus de la vie… afin de s'approcher d'une façon de vivre socialement acceptable.
 
Parfois, je me dis qu’on devrait à nouveau vivre en communauté… ce serait plus facile, à mon avis, d’accepter les facultés, les dons de chacun et tout le monde y trouverait son compte dans l’échange, la joie… plutôt que d’être chacun enfermé entre 4 murs et devoir assumer tout, comme un bon individu sur le droit chemin…

Et l’autre chose qui bouscule… Pourquoi un nombre premier rend heureux alors qu’on ne sait pas calculer et qu’on ne sait pas ce que sait qu’un nombre premier? 

Les nombres premiers ont un pouvoir…  un mystère...

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